Pas dans ma cour, mais dans mon coeur, oui : plus de compassion pour les sans-abri de Montréal
Un refuge pour sans-abri ne verra finalement pas le jour dans le quartier Ahuntsic de Montréal, car les résidents du coin s’y sont opposés. La Ville était prête à acheter le Centre Bois-de-Boulogne et à y relocaliser 50 sans-abri actuellement hébergés dans un refuge de Verdun qui fermera le 31 juillet, mais la population a dit non. Ce phénomène porte un nom : «Pas dans ma cour».
En tant que maman, je serais hypocrite de dire que l’arrivée d’un centre pour personnes itinérantes proche de chez moi ou de l’école de mes enfants me réjouirait. Je craindrais moi aussi que mes enfants assistent parfois à des scènes dérangeantes (car bien sûr il y en a). Cela dit, je ne m'y opposerais pas. J'accepterais le fait que mon quartier évolue et je donnerais une chance à la cohabitation sociale.
J'ai travaillé dans un refuge d'urgence pour sans-abri cet hiver, j'ai eu des discussions passionnantes avec beaucoup d'entre eux, j'ai vu énormément de souffrance, de désespoir, et j'ai vu de très belles choses. À commencer par la solidarité dont ces gens sont capables de faire preuve les uns envers les autres. Oui, je crois que c'est ce que je trouve le plus beau chez les personnes qui habitent dans la rue : leur magnifique sens de la fraternité. Il y a bien sûr des disputes, mais pas que.
La première fois que j'ai passé la porte du refuge, j'ai salué les deux hommes assis à côté, et l'un d'eux m'a dit avec un grand sourire que j'étais le rayon de soleil dans sa journée. Il s'appelle Denis et il est hyper allumé, dynamique et volubile. La dernière fois que j'ai passé la porte du refuge, un usager de l'endroit m'a dit : merci d'avoir été une maman pour nous. Il s'appelle Ghislain et il est aussi drôle et vif d'esprit que nos humoristes les plus célèbres. Je partage ces deux moments pour souligner à quel point les refuges pour sans-abri sont peuplés de belles personnes, de potentiel humain.
Ce qui m’attriste – et me révolte, disons-le clairement – c’est l’après mouvement de refus des résidents du quartier. L’après-refus, où il ne se passe visiblement rien, où on assiste même à une scène de réjouissance avec des bras levés, des applaudissements et des cris de satisfaction lors de la manifestation de samedi.
Cette scène m'a donné la nausée, au sens propre du terme. C'est d'humains en détresse, n'ayant pas de toit, dont il est question. Des gens qui vont devoir continuer à dormir dans la rue ou dans un parc. Comment des résidents d'Ahuntsic peuvent-ils se réjouir à ce point, et exprimer ce bonheur devant les caméras ? Voici ce que j'ai à leur dire : où est donc passée votre humanité ? Pouvez-vous faire preuve d'un minimum de retenue, de respect et de compassion ?
Je ne t’offre pas ma cour, mais je ne te tends pas ma main non plus. À coups d’assemblée, de pétition, de manifestation, je te prive d’un toit que tu aurais pu avoir dans les prochains jours, au nom de ma tranquillité et de ma sécurité. J'obtiens ce que je veux. Et je poursuis ma petite vie sans me soucier de ton sort, sans me soucier de ce que tu ressens en constatant qu'on ne veut pas de toi, sans me soucier de ce que tu ressens en voyant qu'on jubile de notre victoire, de notre pouvoir, devant les caméras. Il est là le gros problème qui me pousse à écrire ces lignes révoltées : dans le trou où on a noyé les notions de compassion et de fraternité.
Et quand je lis dans l’actualité les paroles de Sœur Pierrette Bertrand, la supérieure générale des Oblates franciscaines de Saint-Joseph, communauté religieuse dont le bâtiment jouxte l'établissement qui était censé accueillir les sans-abri (actuellement détenu et mis en vente par la Fondation Gracia), les mots me manquent.
«Je suis en colère» a-t-elle déclaré à La Presse il y a quelques semaines. Cette religieuse éprouve carrément de la colère. «On a toujours travaillé avec [la Fondation]. Ils sont d’accord avec nous. Si c’est pour avoir un centre d’itinérants, c’est non», a-t-elle déclaré encore récemment au Journal de Montréal. Je trouve ces propos extrêmement violents, particulièrement de la part d’une fille de Dieu.
Lorsque je travaillais dans un refuge d’urgence pour sans-abri, une dame dans la soixantaine est arrivée tard un soir, en grande détresse psychologique et visiblement intoxiquée. Elle pleurait, et répétait qu’elle voulait mourir, et qu’il n’y a que le petit Jésus qui l’aime. J’espère que cette dame ne lira pas vos propos, Sœur Pierrette.
Sur Internet, on peut voir qu'a été publié un livre écrit par Chantal Gauthier et France Lord, intitulé «Un inconditionnel accueil de l’autre : l’histoire des oblates franciscaines de Saint-Joseph». Titre à méditer.
Et il existe dans la Bible ce verset :
Persévérez dans l’amour fraternel. N’oubliez pas l’hospitalité ; car, en l’exerçant, quelques-uns ont logé des anges, sans le savoir.
Quant à la Fondation Gracia, qui a cédé à la pression des résidents de son quartier, décidant donc de sélectionner à qui elle vend sa bâtisse et excluant ainsi les organismes voulant offrir un toit à des gens qui dorment par terre, dehors, j'ignore si elle réalise que cette manoeuvre s'apparente salement à de la discrimination ? À ce propos, voici une partie du mot de la directrice sur leur site internet :
Dans ce XXIe siècle où tout va trop vite et où l’individualisme semble érigé en principe, il est rassurant de constater que bon nombre de nos concitoyens s’engagent envers le mieux-être de leurs semblables. S’engager, c’est mettre son temps, son expertise, ses idées ou ses ressources au service d’une cause dont nous épousons les valeurs; c’est apporter une contribution importante au bien commun.
La Fondation Gracia est privilégiée de pouvoir compter sur de nombreux partenaires, personnes et entreprises, qui n’hésitent pas à s’engager pour améliorer la qualité de vie de tous les gens de notre territoire.
Revenons à nos moutons. Je ne veux pas de toi dans ma cour ; ton instabilité mentale, ta dépendance à la drogue, ta difficulté à bien te tenir en société me font peur. Soit.
"Pas dans ma cour, mais dans mon cœur, oui" : voilà qui serait un foutu beau slogan.
Ensemble, trouvons un endroit pour que tu ne dormes pas sur un trottoir, une solution pour que tu aies une deuxième chance. Car après tout c'est moi qui ai fait barrage à ta nouvelle maison temporaire, pour pouvoir continuer à vivre tranquillement. Alors organisons à nouveau assemblées, pétitions et manifestations, pour que tu sois relocalisé, au moins. Car je suis quelqu'un qui assume ses gestes.
Voici ce que je tiens à dire pour terminer. On peut aimer (et très fort même) une personne, une communauté, tout en éprouvant le besoin de prendre ses distances. Les craintes sont parfois tout à fait légitimes et pour notre bien-être mental ou physique il le faut. Mais l’absence de compassion et de fraternité donnent à notre humanité une mauvaise odeur. Ça sent comme… Ça sent tout simplement la merde en fait.
Comments