Filles du ciel, un roman de Michel Moutot chouettissime
Gustave Eiffel aurait-il aimé que ses chefs-d'oeuvre deviennent en 2024 le théâtre d'un roman où se côtoient Amérindiens, Américains, Parisiens et Italiens ? Je parie que oui ! Et probablement aurait-il même invité l'auteur de cette histoire épatante, Michel Moutot, à dîner au Jules Verne, le restaurant de sa tour de «fer puddlé», pour saluer son talent et réclamer une suite à Filles du ciel.
Voyages dans le temps, sur l'océan et chez Google
Michel Moutot m'a permis de traverser les époques (deux siècles en arrière) ainsi que l'océan Atlantique aller-retour. Les premières pages de son livre se déroulent en effet en 1885, juste avant que la statue de la Liberté, alors mise en pièces détachées en France, ne prenne le large vers les États-Unis, où nous l'accompagnons et la voyons prendre forme aux côtés des ouvriers qui l'érigent, et c'est en 1889 que se conclut Filles du ciel, après l'achèvement de la tour Eiffel.
J'ai également fait quelques descentes chez Google, interrompant carrément ma lecture plusieurs fois : le roman de Michel Moutot ne te donne pas vraiment le choix de taper «statue de la Liberté», «viaduc de Garabit» et «tour Eiffel» (dans cet ordre précis, les recherches) tant Filles du ciel a le don de piquer la curiosité tout en suscitant le besoin de voir des images de ces chefs-d'oeuvre, afin de mieux s'imaginer les scènes décrites (avec une grande précision). Voici d'ailleurs un passage que j'ai beaucoup aimé, à propos du viaduc de Garabit, en Auvergne.
Imaginer, puis dessiner un arc de fer capable de franchir une distance pareille, c'est déjà audacieux. Mais tout calculer, le concevoir, pièce par pièce, dans un atelier parisien et l'envoyer à l'autre bout de la France en étant sûr que tout va s'emboîter et qu'à la fin il formera un demi-cercle aussi parfait, capable de supporter des trains entiers, je ne sais combien de tonnes, chapeau, pensa-t-il.
Avouez que vous avez envie, vous aussi, de taper «viaduc Garabit» sur Google (ou Bing).
Ou Yahoo.
Boulons et chignoles ; traque et vengeance
Dans Filles du ciel il est en effet question du génie de Gustave Eiffel qui se concrétise de part et d'autre de l'Atlantique, mais aussi du peuple amérindien des Lenape, du meurtre d'une des leurs, suivi d'une traque vengeresse, au cours de laquelle j'ai adoré lire les descriptions de la capitale française à cette époque.
Les pages sont un habile mélange d'Histoire et de fiction, dont le suspens ne s'essouffle jamais, avec un voyage aux États-Unis, une escapade en Auvergne, et une traque à Paris. J'ai eu le vertige avec les TRÈS courageux ouvriers des différents chantiers et la haine avec le peuple Lenape dont la princesse a été assassinée.
J'ai aimé apprendre des trucs sur la construction des structures de fer de grandes ampleurs et sur les conditions de travail très peu enviables des ouvriers du 19e siècle, tout en me languissant simultanément qu'un salopard d'assassin se fasse attraper afin qu'on lui règle son compte bien comme il faut.
Une inauguration qui fout la nausée
J'ai été absolument dégoûtée de lire que les ouvriers ayant édifié la statue de la Liberté n'ont pas été conviés à son inauguration et ulcérée d'apprendre qu'il n'y avait pas non plus de femmes.
Ils incarnent la liberté universelle par une statut de femme et le public de son inauguration, sur cette île que la presse a déjà baptisée «Liberty Island», sera exclusivement masculin ? Cela ne se passera pas comme ça !
Le geste de protestation des suffragettes, groupe militant pour le droit de vote des femmes, m'a beaucoup plu et touchée.
Elle lève un porte-voix de cuir, vétéran de tant de manifestations réclamant le vote des femmes dans l'État de New-York, et clame de toutes ses forces : «À vous, beaux messieurs sur votre île ! Quel sarcasme, au XIXe siècle, que de représenter la liberté sous les traits d'une femme, alors que pas une seule femme dans toute la longueur la largeur de ce pays n'a encore de liberté politique !
J'ai eu des frissons en lisant ces lignes. Je tenais à partager ce passage coup de coeur du livre.
J'ai peut-être l'air de n'attribuer l'existence de la statue de la Liberté qu'à Gustave Eiffel, mais ce n'est pas le cas. Il est à l'origine de l'indispensable et ingénieux squelette métallique de la statue, mais le corps de cette dame de 46 mètres de haut, lui, est une oeuvre du sculpteur Auguste Bartholdi.
Pour finir je souhaite parler des lavandières. Quand tu lis ce mot tu t'imagines une dame qui confectionne des couronnes décoratives pour les portes d'entrée, avec des brins de lavande cueillis entre Lambesc et Saint-Cannat, mais que nenni. Les lavandières sont les femmes qui lavaient le linge à la main, dans la rivière ou au lavoir.
J'ai beaucoup aimé Filles du ciel. Les autres livres de Michel Moutot se retrouveront assurément sur ma table de chevet eux aussi.
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